



Mark Leckey
Exhibition catalogue, Co-Workers, le réseau comme artiste (Co-Workers, Network as Artist), Musée d’art moderne de Paris & Paris-Musées, Paris, 2015.
Artiste à l’œuvre protéiforme, Mark Leckey explore tous les médias depuis les années 1980 : vidéo, réalisation d’objets, installa- tion, performance, conférence et pratique curatoriale. Déployant l’ensemble des pos- sibilités d’une existence liée à l’image et au fonctionnement en réseau dans laquelle tout est connecté, il bascule sans cesse et sans hiérarchie de la culture populaire à l’érudition, de l’homme à l’objet, de l’œuvre à sa copie. Objets, artefacts, œuvres d’art et images sont ainsi vus à travers un même prisme et s’insèrent dans une ré exion cen- trée sur la relation de fascination entre l’hu- main et la machine.
La vidéo Pearl Vision (2012) est un autopor- trait de l’artiste, en parfaite fusion sonore et sensuelle avec une caisse claire Vision de la célèbre marque Pearl. Tout se passe d’abord au niveau des oreilles : appel d’une voix électronique, qui se mue en mélo- die, communication sonore, gros plan sur un casque. Puis on actionne les leviers métalliques de la caisse : mise en marche, échanges entre les baguettes de bois et la peau de frappe, ça claque. À chaque coup répondent un beat répétitif et des in exions vocales entêtantes. Mark Leckey se trouve devant son instrument comme s’il s’agis- sait d’un ordinateur, dans l’attente d’une réponse et d’interactions. Chaque pulsa- tion est porteuse d’informations et crée un message semblable à celui d’un code infor- matique. Séduction des matériaux, mécanique du désir, une rythmique amoureuse se met en place, devient physique. L’artiste, d’abord habillé d’un pantalon rouge et d’un tee-shirt blanc, s’expose nu : roulement de baguettes, la chair tremble, le tambour gon- dole et le timbre vibre. Dans une succession de plans rapprochés et de vues de biais, par ré exion sur les parois en chrome, le corps de l’artiste est fragmenté, tout autant que les différents éléments qui composent la caisse claire. Celle-ci s’anime, tournoie entière- ment sur elle-même, rayonne. Après les jeux de re ets, de démultiplication, l’image de la caisse modélisée est suspendue, autonome, sur un fond noir, dans une glorication ultime de l’objet. La vidéo se termine sur une vue de l’intérieur du caisson mon- trant l’étiquette de l’instrument, qui le rend unique et désirable.
Inspirée dans son esthétique par un recueil du poète américain John Ashbery, Self-Portrait in a Convex Mirror 1 (1975), cette vidéo pourrait tout à fait être un lm publi- citaire vantant la perfection plastique, la finesse des finitions et les propriétés sonores de cette caisse claire. Là où la publicité, qui construit des narrations autour d’une marque, suscite l’envie de s’approprier les objets, Pearl Vision accomplit ce désir avec humour, dans un jeu de possession et d’absorption mutuelle entre l’artiste, l’instrument placé entre ses jambes et ses multiples images. Clin d’œil à l’autoportrait fragmenté de Mark Leckey dans Pearl Vision, la sculpture Leckey Legs (2014) rematérialise les jambes et le fameux pantalon rouge de l’artiste dans l’espace.
1. Traduction française : Autoportrait dans un miroir convexe, Saint-Pierre-la-Vieille, Atelier La Feugraie, 2004, trad. Anne Talvaz.